Sous les giboulées de mars, une balade poétique
avec Yves Leclair,
Fabrice Caravac et Liza Kerivel. Catherine Thévenet faisait partie des courageux du dimanche 17 mars. Elle nous propose son récit de balade, que vous pouvez retrouver avec les images sur son blog.
http://ex-libris.over-blog.com/article-sous-les-giboulees-de-mars-une-balade-poetique-avec-yves-leclair-fabrice-caravaca-et-liza-kerivel-116333320.html
Dimanche 17 mars, pour clore le
Printemps
des Poètes,
La Maison des Littératures à Saumur, proposait une
balade poétique. Bravant les giboulées de mars, une vingtaine d’amateurs de
poésie ont été accueillis dans la cour de la Maison du Roi par le président de
l’association, Claude Guichet et par Valérie Reyre-Coquériaux.
Une brève présentation de la
Maison du Roi, par un jeune guide de la Ville, nous a d’abord fait rêver sur
les monarques qui séjournèrent dans ce logis seigneurial (XV°, XVI°, XIX°
siècles) rue Dacier. Il reçut en effet Charles VII, Henri IV, Marie de Médicis,
Louis XIII et Anne d’Autriche. Ensuite, nous avons marché dans les pas de trois
écrivains invités par l’association : Yves Leclair, Fabrice Caravaca et
Liza Kerivel.
Après avoir tourné à droite dans
la rue du Temple, nous avons pénétré sur les vieux pavés de la cour intérieure
de l’hôtel dit Cappel, mais ce professeur d’hébreu de l’Académie protestante
n’y résida sans doute jamais. Il convient d’appeler cet élégant hôtel
particulier Chesnon de Sourdé (XVI°-XVIII° siècles).
Nous avons fait cercle autour de l’écrivain
et poète saumurois, Yves Leclair, dont nombre d’œuvres ont été éditées au
prestigieux Mercure de France. Avec
l’humour dont il est coutumier, Yves, bien au chaud dans sa grosse écharpe de
laine tricotée gris parme, avait choisi de lire des extraits de son recueil Prendre
l’air, au titre de circonstance. Ce sont
des « feuillets de
route » que le poète égrène au cours de ses balades, des instant fugitifs
qu’il a l’art de métamorphoser en brèves méditations pleines de sagesse. Ainsi
en est-il de cette « Petite philocalie » :
Tu entends cet air de guitare,
ce soir d’octobre où tout est noir.
Tu ne l’entendras pas toujours.
Retiens l’heure, qu’elle te soit
lente !
Le bon temps, tu sais a des fuites.
Cette voix d’enfant qui résonne
claire à l’étage, écoute-la
bien, imprègne-toi de son timbre
lumineux. La nuit tombe vite
sur les yeux. Un jour il te faudra,
coûte que coûte, regagner
le grand trou noir. Aime longtemps
la vie si près du ciel, ce soir.
Ecoutant
J. jouer de la guitareEt
A. chantonner à l’étage, Bagneux,6
octobre 1998 Les mots d’autres poèmes se sont
envolés dans l’air froid : nous avons entraperçu le « vieux
nocher » de « Barque funèbre » ; nous avons écouté l’appel
à « danser dans le vent sur la route », « Sur un vers de W. B.
Yeats »… Puis, Yves Leclair a ouvert
Le journal d’Ithaque,
quatre-vingt-dix-neuf dizains qui nous promènent de Chaintres à la Crète en
passant par l’Alsace ou l’Italie.
Il nous a distillé quelques-un de ces
dizains dont il a le secret. Parmi eux, « Tour opérateur », qui ouvre
le recueil en ironisant sur les voyages organisés ; « Le chien perdu
de la rime » qui dit le secours sans faille de la rime pour le poète quand
« Chaire du poète » joue habilement du vocabulaire religieux. Ceux
qui furent- ou qui sont- les élèves d’Yves Leclair connaissent son art de jouer
avec les mots simples ou savants. Et c’est ce subtil dosage entre extrême
simplicité et grande érudition qui est un des charmes- et non des moindres- de
l’écriture d’Yves Leclair, celui qui sait si bien découvrir « l’or du
commun » dans le quotidien le plus banal.
Par les rues endormies, dans cet
après-midi froid de mars, nous nous sommes ensuite dirigés vers la chapelle
Saint-Jean, un lieu assez méconnu des Saumurois eux-mêmes. Chef-d’œuvre du
gothique angevin, aux voûtes particulièrement remarquables, elle appartint aux
Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Cette chapelle est un lieu de
recueillement propice à l’écoute des mots de Fabrice Caravaca, jeune écrivain
de Limoges et créateur de la maison d’édition
Dernier Télégramme, qui
nous a lu plusieurs extraits de ses textes. Sous les fines et élégantes
nervures des voûtains, sa longue silhouette d’adolescent nous a donné à
entendre notamment des extraits de
sa première œuvre publiée,
La Vie, aux éditions des
Fondeurs de
Briques. « Cinquante-quatre fragments, qui dialoguent et forment un chant »,
composent ainsi une successions de pensées, de situations, de réflexions qui
peuvent être celles de tout un chacun, à un moment ou à un autre de sa vie. La
particularité de ce texte est d’être rédigé à la premier personne du pluriel,
ce qui lui donne une ampleur inaccoutumée. On est d’abord surpris par ce
« nous conquérant », assez étonnant chez un si jeune écrivain, mais
bientôt cet emportement nous saisit et nous entraîne loin, vers des territoires
emplis d’espoir, de fraternité et de sérénité. J’ai beaucoup aimé le passage où
Caravaca comme en une litanie évoque les poètes de son panthéon
personnel :
« Ossuaire : Cendrars
autour du monde. Ossuaire : le sang rouge de Federico Garcia Lorca.
Ossuaire, Georg Trakl et sa sœur. Ossuaire : Emily Dickinson seule et
seule. Ossuaire : Fedor Dostoïevski et le cœur de l’homme. Ossuaire :
Lautréamont et le cœur de l’océan. Ossuaire : Allen Ginsberg… »
Dédiée à trois poètes que Fabrice
Caravaca affectionne, ce long poème lyrique, à la tonalité unanimiste et aux
accents sacrés, a trouvé une résonance particulière dans ce beau lieu.
« Nous commençons. Nous
recommençons. Nous ne nous
arrêtons plus. Nous sommes ivres
déjà de beauté. Nous
avançons. Nous n'avons plus le
choix. Il y a de grands
arbres. Et des histoires tout en
haut. Il y a aussi du vert et
de la couleur et aussi de la lumière
un peu plus loin.
Nous en voulons encore. Nous en
voulons toujours.
Nous sommes vivants. » La dernière étape de cette balade
poétique nous a conduits dans la salle Duplessis-Mornay de l’Hôtel de Ville de
Saumur (XVI°-XVII°-XIX° siècles). Liza Kerivel, qui habite à Saint-Nazaire et
publie depuis 2009, a lu des extraits de ses deux romans. Ceux-ci racontent des histoires de femmes. Métamorphoses
de la fuite et des saisons (2012) évoque la disparition de l’une d’entre
elles sur le parking d’un super marché. L’auteur nous a lu d’abord un passage
où le mari, demeuré seul, ne sait comment consoler ses enfants. Puis, de sa
voix douce et claire, elle a lu des extraits de son premier roman, Inventaire
des silences, paru en 2010. Il s’agit du long monologue d’une femme qui a
quitté sa famille et qui tente de l’expliquer à ses enfants. Mais d’expliquer quoi, au juste ?
Les silences du quotidien, le poids de la routine, la vie qui s’enfuit,
l’incompréhension qui ronge, la solitude en famille… Ici encore, on ne peut
qu’admirer cette plongée extralucide chez un jeune écrivain dans l’intimité
d’une femme, d’une épouse, d’une mère. Dire pour tenter de rompre ce silence
mortifère qui fut le sien pendant plus de vingt ans : « Le silence
est là qui m’a toujours accompagnée. Si épais qu’avec lui, j’aurais pu me
tricoter une écharpe et la serrer autour de mon cou. Si fort, en disant tout
bas : il suffirait de presque rien. »C’est sur ce moment intense que
s’est achevée cette balade poétique. Liza Kerivel, tout en remerciant les
membres de La Maison des Littératures de l’avoir accueillie avec
chaleur, a évoqué Albane Gellé, première Présidente de l’association, en
soulignant que c’est elle qui avait eu l’idée de cette promenade en poésie. Une
initiative que tous souhaitent bien sûr voir se renouveler, par un temps qui
serait plus printanier. http://liza-kerivel.eklablog.com/